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Après la victoire de Donald Trump, l’heure est au mea culpa dans la presse américaine

 Sonnés par l’élection du magnat de l’immobilier, plusieurs éditorialistes de grands  quotidiens s’imposent une remise en question pour comprendre leurs erreurs. Ils  confessent avoir été incapables de capter le sentiment du pays profond.

 «Madam President». Mercredi, la plupart des journaux américains, confortés par des  sondages souvent unanimes, étaient prêts à dégainer leurs unes célébrant la victoire  triomphale d’Hillary Clinton. Mais les électeurs en ont décidé autrement et c’est finalement  le portrait de Donald Trump qui a envahi les kiosques outre-Atlantique. «Comme tout le  monde, nous nous sommes trompés», confie Tony Romando, PDG de Topix Media  (partenaire de News Week ) dans le New York Post.

 Car, outre le tournant politique majeur qu’elle entérine, la victoire du républicain  marque également l’échec des médias, incapables de prendre le pouls du pays. Au  lendemain de l’élection, l’heure était à l’introspection dans les rédactions. «Pour  parler franchement, les médias ont manqué un rendez-vous avec l’Histoire» lâche  l’éditorialiste du Washington Post, Margaret Sullivan. Et pour cause, ils étaient  encore 84% à prédire la victoire de la candidate démocrate mardi après-midi. «La  technologie […] et la modélisation sophistiquée des données n’ont pu sauver le  journalisme américain, encore une fois à la traîne de l’histoire, à la traîne du reste du  pays», assène Jim Rutenberg dans New
York Times
.

 «Comment les sondeurs ont-ils pu se tromper à ce point?» s’interroge USA
Today.
   La question taraude encore les acteurs des médias américains qui ont, pour la  plupart, accordé une confiance aveugle aux enquêtes d’opinions «même si tout le  monde sait que les résultats des sondages ne sont pas des votes», note Margaret  Sullivan. Les yeux braqués sur les sondages, les journalistes ont «manqué ce qui se  passait autour d’eux» explique le New York Times avant de poursuivre: «Les chiffres  n’étaient pas seulement un mauvais guide, […] ils étaient comme une bretelle de  sortie qui nous écarte de la réalité. […] Plus qu’un échec dans les sondages, ce fut un  échec à capter la colère en ébullition d’une grande partie de l’électorat américain qui  se sent abandonné».

 Une Amérique à deux vitesses

 Ce décalage entre le discours des médias et celui des urnes témoigne d’une profonde  division. Une fracture qui oppose une population urbaine résidant sur la côte ouest  ou dans les grandes villes de l’est à l’instar de New York ou Washington, à une autre  frange du peuple, perçue comme «l’Amérique profonde». «Beaucoup d’électeurs  américains voulaient quelque chose de différent. Bien qu’ils aient crié et hurlé, les  journalistes n’étaient pas à l’écoute», admet Margaret Sullivan avant d’ajouter: «les  journalistes se sont rendus dans les États républicains pendant plusieurs jours, ils  ont interviewé des mineurs ou des chômeurs de l’industrie automobile dans la Rust  Belt, nous ne les avons pas pris au sérieux. Ou, du moins, pas assez». L’éditorialiste  du New York Times se veut lui aussi extrêmement sévère: «Si les médias  d’information n’ont pas réussi à présenter un scénario politique basé sur la réalité,  alors ils ont échoué dans l’exercice le plus fondamental de leur fonction».

 Prix Nobel d’économie en 2008, Paul Krugman reconnaît à son tour la  méconnaissance, voire l’ignorance, de l’Amérique dite «des élites» pour l’Amérique  profonde: «Ce que nous savons c’est que les gens comme moi, et probablement  comme la plupart des lecteurs du New York Times, ne comprennent vraiment pas le  pays dans lequel nous vivons», écrit-il dans le quotidien. Il précise: «Mais il se trouve  qu’un grand nombre de personnes – les blancs, vivant principalement dans les zones  rurales- ne partagent pas du tout notre vision de l’Amérique».

 Pis encore, les médias américains s’interrogent sur leur rôle dans la victoire de  Donald Trump. Si l’éditorialiste du Washington Post admet que «les médias ont aidé  Trump à saisir sa chance» avec une «énorme exposition», elle refuse de dire que les  journalistes ont «crée Trump» car «ils n’en n’ont pas le pouvoir». Elle reconnaît par  ailleurs l’énorme différence qui existe entre la perception qu’ont les électeurs du  magnat de l’immobilier et celle de la presse. Reprenant la thèse de Peter  Thiel (investisseur de la Silicon Valley et soutien de Donald Trump), Margaret  Sullivan explique: «Les médias prennent toujours Trump à la lettre mais ils ne le  prennent pas au sérieux […] Mais beaucoup d’électeurs font le chemin inverse».  Autrement dit, lorsque le nouveau président des États-Unis parle de construire un  mur à la frontière mexicaine, les journalistes cherchent à en savoir davantage sur ce  projet (coût, déroulement, etc.). 

 De leur côté, les électeurs comprennent qu’aucun mur ne sera réellement construit  mais que l’accent sera mis sur la politique migratoire. Sans parvenir à comprendre  l’interprétation de l’électorat de Donald Trump, l’analyse des médias s’est coupée  d’une partie du peuple américain. Une incompréhension qui a contribué à creuser  encore un peu plus le fossé qui sépare les deux Amériques.

 




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